C’est l’histoire de la souris et de l’éléphant. Ou comment un virus invisible, infiniment petit, vient à bout des mastodontes de la mode. En quelques semaines, le Covid-19 a fait vaciller les géants de la fast fashion, de Zara à H&M, en passant par le japonais Uniqlo. Partout, des enseignes emblématiques baissent le rideau.
Après André, placé en redressement judiciaire, la Halle, Camaïeu ou encore Naf Naf… c’est au tour de Celio d’être placé en procédure de sauvegarde. Il faut avouer que ces 2 dernières années, le secteur de l’habillement a été durement malmené. Gilets jaunes en 2019, grèves fin décembre… et maintenant le Covid qui s’en mêle ! Résultat : sur les 5 premiers mois de l’année, le chiffre d’affaires des distributeurs chute de 29,6 % comparé à la même période en 2019. (1) . « La filière était déjà marquée par de profondes mutations avant la crise sanitaire, souligne Bernadette Hirsch. Le Covid n’a fait qu’exacerber la tendance. »
Accélérer la transition
Avec cette crise sans précédent, un changement de modèle économique semble se profiler, poussé par deux tendances de fond : la perte du pouvoir d’achat et la déconsommation textile, les clients se tournant de plus en plus vers le seconde-main. Pour perdurer, la filière doit trouver un nouveau souffle. Digital, celui-ci. « La transformation numérique semble inévitable, note Bernadette Hirsch. Le commerce opère sa mutation depuis quelques années déjà, et la pandémie n’a fait qu’accélérer cette transition. »
Il est vrai qu’en moins d’une décennie, les comportements de consommation ont grandement évolué. Avec la démocratisation de la vente en ligne, le commerce est devenu multicanal. « Le digital est aujourd’hui un mode de vie : un client peut choisir son vêtement sur un site, comparer les prix en ligne, trouver le magasin le plus proche sur son smartphone pour finalement acheter sa chemise en boutique ! résume Bernadette Hirsch. Les commerces doivent se saisir de cette opportunité pour satisfaire la demande, quel que soit le canal : click & collect, digital, magasin… »
Qu’on soit clair ! Il ne s’agit pas de tout révolutionner, car le commerce physique représente encore 70 % des ventes. L’enjeu ? Faire cohabiter « physique et digital ». « Le digital ne doit pas se substituer à la boutique, mais venir en complément, prévient Bernadette Hirsch. Gardons en tête qu’un eshop qui marche représente 7 à 10 % du chiffre d’affaires, donc la rentabilité est loin d’être immédiate. Par ailleurs, le marché est fortement concurrentiel, et ce canal de distribution demande un véritable investissement humain et financier pour s’occuper de la gestion des stocks, des retours d’articles… »
Mixer sa stratégie digitale
Pour Bernadette Hirsch, la vraie bataille se joue sur les réseaux sociaux, notamment Instagram et Facebook. « Ouvrir un eshop sans communauté ou sans un budget communication conséquent ou les 2, c’est comme installer une boutique dans une impasse au numéro 5 bis ! s’amuse-t-elle. Les sites qui cartonnent, sont ceux qui ont déjà acquis une forte communauté sur les réseaux sociaux. » Son conseil ? Mixer sa stratégie digitale, avec une double présence en ligne sur les réseaux sociaux et en eshop. Tout cela a bien évidemment un coût. Et les commerces n’ont pas forcément les reins solides pour opérer leur transition numérique.
Depuis peu, de nouvelles initiatives voient le jour, pour soutenir la profession. Des villes comme Angers, en partenariat avec des start-ups ont parié sur la mutualisation, avec la mise en ligne d’un portail commun qui rassemble toutes les boutiques digitalisées de la commune ! « Le portail ressemble à un centre commercial digital, explique Bernadette Hirsch. Chaque boutique peut y mettre les photos de ces produits, avec un descriptif ! »
Éduquer le client
S’il convient de réfléchir à sa stratégie digitale, il faut aussi éduquer le client… Car un centre-ville sans commerces, c’est comme un été sans soleil. Déprimant. Or, depuis le covid-19, on note une désaffection de l’hyper-centre, en tout cas des grandes villes, au profit de la périphérie. « A Bordeaux, le redémarrage montre quelques ratés. Les gens ont encore peur d’aller en boutique. Le côtier, quant à lui, a souffert du manque de touristes, la reprise est lente. »
L’autre question concerne l’arbitrage du stock. Les collections de printemps ont été livrées en mars dernier. Juste avant le confinement. Résultat : les boutiques disposent de stocks inadaptés, « avec le retour du beau temps, les clientes veulent des petites robes légères, pas des pièces à manches ! » Alors que faire ? Brader les stocks ? Garder les pièces atemporelles pour le printemps prochain ? À chacun sa stratégie.
Une chose est certaine, l’avenir du commerce se joue sur le front 2.0. La bataille ne fait que commencer, car les règles doivent être les mêmes pour tout le monde. Or, avec l’hyper-digitalisation de la société, les inégalités se creusent entre les grandes plateformes internationales qui ont renforcé leurs positions et profitent d’optimisation fiscale très avantageuses, alors que les commerces indépendants paient toutes leurs charges en France…